mardi 7 mai 2013

L'Ange du bizarre (2)

Caspar David Friedrich, Rivage avec la lune cachée par des nuages (1835-1836)
- ou LE tableau devant lequel j'étais gaga -

    La voici, la voilà, la suite de mon article sur l'exposition L'Ange du Bizarre au musée d'Orsay ! Comme j'y suis retournée avec les copines (Alacris, Matilda, et Jamestine) le 26 avril dernier, il était temps que j'écrive le second article sur cette magnifique exposition. La plus belle à mes yeux (même si celle du Louvre, De L'Allemagne, est magistrale aussi ! - et parfaitement bien résumée dans l'article d'Alacris dont je vous conseille la lecture). 
    Pour en revenir à nos moutons, il faut aussi savoir que je n'ai pas pu profiter comme je l'aurais voulu de ma seconde visite. Pourquoi ? J'étais "malade", j'avais mal au ventre grosso-modo.. Cependant, ça m'a permis de rester plusieurs longues minutes assise devant certains tableaux, en particulier ceux de mon Friedrich ! Et j'ai fait une pause devant les symbolistes, il me semble, aussi. Bref, faire une expo en ayant très mal au ventre (d'ailleurs, encore merci Matilda pour les ibuprofènes ! T'as juste sauvé ma vie !), ce n'est pas tip-top. Je n'ai pas pu relire comme je le voulais les textes, ni faire le tour des salles comme il fallait. La dernière, avec son surréalisme, a encore une fois été négligée de ma part... J'ai encore plus d'un mois pour aller m'excuser auprès d'elle. Je n'y manquerai pas, avec un audioguide pour la peine !

    Je ne suis pas sûre de pouvoir restituer correctement une trajectoire de visite. Je me base sur le magazine des Beaux Arts (hors-série) qui concerne l'expo pour vous parler de ce que je n'ai pas eu le temps de faire dans mon précédent article. D'ailleurs, je me suis rendue compte qu'il ne concernait même pas les trois premières salles, ce qui n'est pas rassurant pour l'article que je compte écrire ici ! Quand je repense à tout ce qu'il y a à dire ! Surtout sur le romantisme allemand et les paysages à couper le souffle de Lessing, Friedrich, Carus... etc. ! Et puis, plus loin, il y a Munch, que j'ai enfin découvert avec plaisir !

Goya, Les cannibales contemplant des restes humains
(vers 1800-1808)
    La dernière fois, je vous disais que je n'avais pas vraiment aimé Goya. C'est toujours d'actualité, si ce n'est pour les tableaux sur le cannibalisme qui m'ont impressionnée. J'aime beaucoup la froideur du tableau ci-contre, on pourrait s'attendre à des couleurs vives puisqu'il y a du sang, mais non, je trouve que les personnages peints ont la pâleur de la mort et l'indifférence des animaux. De plus, les traits de pinceaux me donnent le sentiment de flouter la scène, de la rendre inaccessible pour celui qui la regarde. Les visages ne sont plus humains et ça créé une distance avec le spectateur assez malsaine : on n'a pas l'impression de voir des êtres humains, donc on aime le tableau, on le trouve beau, or le tableau montre un acte sauvage, barbare, un acte "laid" d'une certaine façon. Il y a donc une fascination pour le morbide qui m'interpelle beaucoup. Dans un autre style, ça me fait penser au Radeau de la Méduse de Géricault (dont un petit format se trouvait juste en face des Goya, si je ne me trompe pas). On est devant un fait divers, où le cannibalisme a joué un rôle, et le tableau plaît, il est beau. La scène est différente, mais d'une certaine façon, je pense que Géricault est d'autant plus malsain. Et j'adore ça. 
    Je me permets de restituer une citation de Goya, qui se trouve dans le magazine que je lis, et que je trouve très parlante : 

Goya, Saturne dévorant un de ses fils
"Je n'ai pas peur des sorcières, des lutins, des apparitions, des géants vantards, [...] ni d'aucun autre genre de créatures hormis les êtres humains..." (vers 1792).

    J'ai envie de répondre : "et pour cause ?", aucun tableau de sorcières, de démons, de monstres ne fera jamais aussi peur que des êtres humains mangeant de la chair humaine, ou des tableaux sur la guerre. Quand on voit de quoi nos semblables sont capables, on se demande jusqu'où l'homme peut aller, soit ça nous dégoûte de notre espèce, soit ça nous fascine et peut nous pousser à l'extrême (vaut mieux que ce soit dans l'art quand on y pense...). A l'heure actuelle, il n'y a qu'à penser à tous les films gores et autres snuff movies. Je préfère voir des zombies croquer la chair à pleine dents que de me mettre à regarder A Serbian Film avec un "new born porn" à l'intérieur. Les déviances de ce qui est surnaturel ne seront jamais aussi choquantes que les déviances de l'homme.
    Fin de la parenthèse ! Le tableau ci-contre, il ne me semble pas l'avoir vu lors de l'exposition, s'il vous intéresse, direction Madrid au musée du Prado. Ici, il ne me sert qu'à illustrer mes propos.

Carl Blechen, Route campagnarde en hiver au clair de lune
(vers 1829)
    Passons à quelque chose de plus rassurant : les paysages sublimes. Je ne sais pas si on les nomme vraiment ainsi, mais dans cet article, j'en parlerai comme ça. On y trouve des allemands comme des français. Même si je risque de me focaliser exclusivement sur les allemands.
    Ci-contre, il s'agit d'un tableau de Blechen, que j'admire beaucoup. J'adore l'atmosphère qui se dégage de ce type de peinture, elle me donne une impression de flotter, de sortir de mon corps et d'entrer dans un univers magique. On se rend bien compte que ce n'est pas le paysage "tel qu'il est" mais la manière dont le peintre observe son sujet. C'est une sensation qui est représentée, une vision subjective de la nature. On le ressent et du coup, en tant que spectateur, on est transporté ailleurs, hors du temps. De façon anachronique, le tableau de Blechen n'a rien à envier à la fantasy. C'est tout à fait ça, à mes yeux. 
    Évidement, le master représentant de ce type de paysages romantiques, c'est l'excellent Caspar David Friedrich ! Tout en haut de mon article, vous avez le Rivage avec la lune cachée par des nuages, c'était un peu LE tableau de l'exposition que j'attendais de voir et revoir avec impatience. Parce que, le problème avec Friedrich, c'est que, si on veut admirer en "vrai" ses tableaux, il faut aller en Allemagne. La chance de Paris, en 2013, c'est que ce peintre brillant, grand et étonnant est mis à l'honneur au musée d'Orsay et au Louvre (c'est là où je glousse). Honnêtement, il y a beaucoup de peintres dont on peut voir des photos de leurs tableaux, mais avec Friedrich, c'est impossible. Aucune carte postale, aucun poster, aucune copie ne pourra jamais égaler l'effet que produisent ses tableaux sur nous. Quand on se trouve dans un Friedrich, on ne peut qu'être hypnotisé (j'en connais une - pour ne pas dire Alacris - qui sait le temps que je peux passer devant un seul Friedrich, alors, imaginez quand il y en a vingt x'D). 

Caspar David Friedrich, La Porte du cimetière
    Bref, tout ça pour dire que je suis admirative de ses grands espaces, de la façon dont il exhibe une nature qui domine l'homme, qui peut le faire trembler. Il y a un côté très religieux dans ce qu'il peint, mais bizarrement, je ne sais pas si on peut uniquement parler de cette dimension symbolique quand on voit sa peinture. Elle produit le même effet que le Blechen dont je vous ai parlé juste avant, mais en plus violent d'une certaine façon. Friedrich peut nous donner un sentiment de perte, un sentiment de vertige, voire même de petitesse par rapport à la nature qu'il représente. Pour ma part, je préfère ses tableaux les plus sombres, et avec celui de l'expo d'Orsay, je suis plutôt comblée. Les touches de lumières qu'on a grâce à la lune devraient être rassurantes, mais étrangement, j'ai plutôt le sentiment qu'elles ne sont là que pour éclairer le danger de la nature, sa grandeur. La lumière n'est pas rassurante, elle oblige le regard.
    C'est un peu différent avec le tableau ci-contre, La Porte du cimetière, je l'avais vu sur internet avant qu'il n'apparaisse sous mes yeux au musée d'Orsay (et que je ne manque de pleurer d'admiration). Si vous voulez une bonne étude de ce tableau, je vous conseille d'aller sur cette page.
    Dans cette salle où peut admirer ces deux tableaux, il y en a d'autres à couper le souffle. Je n'ai pas leurs références sur moi, mais je penserai à les noter la prochaine fois. Sinon, il y a aussi le fameux Lessing qui a sans doute subjuguer beaucoup de visiteurs ! 

Carl Friedrich Lessing, Ruines dans une gorge
(vers 1830)
   Il s'agit de Ruines dans une gorge, je me sentais obligée de le poster sur cet article, même si ça sature un peu le texte et donne une impression "tassée" de ce que j'ai écrit. Tant pis. Ce tableau doit vous convaincre d'aller à Paris et d'aller voir l'exposition avant qu'il ne soit trop tard. 
    Cette peinture me donne un sentiment d'errance ainsi que de vertige, comme si, lors d'une promenade en forêt, dans les montagnes, je m'étais perdue et retrouvée face à un endroit abandonné, presque effrayant et pourtant sublime. Les montagnes nues sont immenses, elles ne dégagent aucune chaleur et semblent être hors du temps, exactement comme le ciel nuageux qui ne laisse pas savoir si on est au début de la journée, au milieu ou presque à la nuit. 
    Et puis, je ne sais pas pour vous, mais quand j'imagine le passé, je ne le vois pas en noir et blanc, mais plutôt dans les mêmes tons que ce tableau, légèrement "sépia" ou en tout cas, vert, jaune, marron... etc. En somme, ce tableau me submerge d'émotion et je serais curieuse de voir ce que Lessing a fait d'autre (et si on a l'occasion de voir ses oeuvres en France... ce qui, je suppose, est un peu trop demandé).


Munch, Vampire (1916-1918)
    Je ne vais pas encore m'étaler longtemps sur cet article, il doit me rester plusieurs salles et une vingtaine de tableaux mais je vais essayer de me contenter de Munch qui m'a énormément interpellé lors de l'exposition. Et ce sera Vampire qui sera à l'honneur. Cette peinture est mon premier contact avec Munch, et je ne sais pas pourquoi, mais il s'est passé quelque chose entre ce tableau et moi. Je me permets, à nouveau, de mettre une citation, cette fois-ci de Munch, issue du magazine des Beaux-Arts : 

"La nature n'est pas seulement ce qui est visible à l'oeil - c'est aussi l'image que l'âme s'en est faite - l'image derrière la rétine" (1907)

     Certes, ce n'est pas le thème du tableau ci-dessus, mais je trouvais que Munch s'exprimait plutôt dans la lignée des peintures de paysages romantiques dont j'ai parlé plus tôt. Avec Vampire, il me semble qu'Alacris m'avait expliquée qu'il s'agissait de la vampirisation amoureuse, de la femme qui devient redoutable, tentatrice et dévorante. L'image de la femme est rendue vénéneuse et d'après ce que je viens de survoler dans mon magazine, il y avait une certaine misogynie ambiante dans la peinture symboliste de l'époque. Faudrait que je révise mes classiques pour mieux vous en parler ! Ici, je me contenterai de dire que j'aime la façon dont les deux figures se mélangent, dont les traits sont indistincts : les personnages peuvent être à la fois tout le monde et personne en même temps. Et les longs cheveux roux (ou rouges) de la femme, qui recouvrent le corps de l'homme comme le sang qu'elle semble lui voler. En somme, j'ai un bon coup de coeur sur ce tableau ! 
    Il y avait d'autres tableaux de Munch, dont un qui me plaisait beaucoup, mais je n'ai pas les références et il n'est pas dans les magazines que j'ai acheté. J'essaierai d'en parler plus tard...

    Voilà pour cette seconde partie d'article sur L'Ange du Bizarre ! Je ne sais pas s'il y aura une troisième partie, ça dépendra de mon humeur. Peut-être que oui, il me reste des tas de tableaux que j'aime, je n'ai même pas parlé de Moreau une seule fois dans mes articles alors que lui aussi, il était présent dans l'exposition. Et puis, je me suis surtout basée sur un magazine, donc ça ne reflète pas exactement tout ce que j'ai adoré voir, il me manque des références et des coups de coeur.
    Sur ce, merci au musée d'Orsay de nous offrir une telle exposition et merci à ceux qui auront eu le courage de lire ce billet !

7 commentaires:

  1. Haha, j'étais sûre que tu mettrais Rivage avec la lune cachée par des nuages en grand format sur ton blog, tu voues un tel culte à ce tableau ! Pas mon préféré de Friedrich ; je préfère quand il y a davantage de clarté et de contraste, mais c'est sûr que celui-là est assez hypnotisant et ensorceleur...

    Merci de citer mon article :p

    J'adore la citation de Goya, et ton analyse du tableau est très intéressante. Pour quelqu'un qui n'aime pas trop Goya, dis donc, tu en as mis deux dans ton article !

    Ce tableau de Blechen est magnifique... c'est assez amusant car Matilda, toi, et moi en avons toutes une interprétation différente, et c'est ça qui est cool avec l'art !

    En effet je sais quel temps tu peux passer devant un Friedrich XD

    D'accord avec toi quand tu dis que la lumière n'est pas rassurante chez Friedrich (dans Rivage avec la lune cachée par des nuages en tout cas), et qu'elle sert souvent à montrer le danger imminent et à faire régner un clair-obscur des plus angoissants...

    Très très belle citation de Munch, je ne peux qu'APPROUVER !! Ca rappelle aussi beaucoup la citation de Friedrich qu'il y avait en gros plusieurs fois à la'expo du Louvre sur l'Allemagne... avec l'image subjective de la nature. En tout cas Vampire est un de mes tableaux préférés de Munch, même s'il y en a pleeeeiiiin d'autres que j'aime (pas tellement les autres qui étaient à Orsay), et j'espère qu'on pourra les voir ensemble un jour :p

    Billet très intéressant en tout cas (je ne pouvais qu'aimer) et très bon choix de peintures ! Je crois qu'à nous trois on a inondé la blogo de Blechen et de Lessing :D (sans parler de Friedrich bien sûr, tu as vu qu'on avait rallié Matilda à notre secte dont tu es le grand gourou, hum pardon à notre honorable cause ^^)

    n_n

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    1. Finalement, je me suis mise à découvrir Goya en voulant justifier pourquoi je n'aimais pas XD j'ai un talent pour me retourner contre moi-même !

      C'est génial d'avoir des interprétations différentes ^^ c'est ce qui fait que l'oeuvre survivra encore longtemps, tant qu'il y a aura des gens pour la voir et lui offrir un sens singulier.

      Friedrich, mon amour :D pourtant, il est très religieux ce monsieur, et nationaliste y paraît, deux choses que je déteste, et pourtant... Mais bon, quand on voit ce qu'on peut tirer de ses tableaux, ce qu'on peut en dire... Les idéologies et la religion, ça ne compte pas vraiment face à la beauté.

      J'espère vraiment qu'on verra de Munch ensemble ! Après tout, c'est toi qui m'a ouvert les yeux sur ce peintre, sinon, j'aurais "aimé", mais pas regardé =) donc oui, je veux voir d'autres tableaux de Munch avec toi *___*

      GOUROU ! \o/ Faudra que je fasse un article plus complet sur Friedrich un de ces jours, avec tout ce que j'ai lu dans le livre que tu m'as offert, il y a vraiment des choses à dire : des bonnes et des mauvaises aussi. (paye tes fascistes qui ont repris Friedrich à leur compte...).

      Merci en tout cas pour ton long commentaire ! <3
      J'y réponds tard, mais c'est parce qu'à Reims, je n'arrivais vraiment pas à me sentir à l'aise avec mon blog.... Mais bon, je sais qu'avec toi, j'ai pas besoin d'en expliquer plus là-dessus, t'as pigé ^^"

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    2. Grazyel, ou la contradiction incarnée ^^

      Ah bah évidemment, talent de la contradiction : tu es attirée par le peintre dont la manière de penser est aux antipodes de la tienne ! Enfin, d'un autre côté non, avec tout cet éloge de la subjectivité comme instance la plus haute. Il y a un moment où il faut divorcer de l'homme pour apprécier son oeuvre... combien d'artistes géniaux étaient des gens insupportables ? Mais heureusement, avec certains artistes, l'affinité est aussi présente avec leur biographie. Du moins sur ce qu'on en sait ;)

      No worries, back to Paris = back to the literary world et la MOTIVATION. Mine de rien, les partiels c'est ennuyeux, mais je suis contente de reprendre les cours.

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    3. Je me faisais justement la réflexion hier, comme quoi j'étais une sorte d'oxymore humain =')

      Combien d'artistes étaient aussi des gens insupportables ? Bizarrement, le premier nom qui me vient à l'esprit est Musset x'D après, on était pas dans sa vie, mais il est quand même réputer pour ses crises ultra violentes. Mais je l'aime tellement. Je suis vouée aux amours tumultueux \o/
      En tout cas, oui, vaut mieux séparer l'homme de l'oeuvre parfois, même si Sainte-Beuve ne serait pas spécialement d'accord avec ça.
      (A la fin de ton paragraphe, tu penserais pas à Rimbaud, par hasard ? XDDD)

      Mais putain de literary world quand même ! Demain, résultat de mon contrôle continue en linguistique, je flippe ! (y paraît que 90% de la promo s'est planté l'an dernier). Mais sinon, comme toi, je suis contente de retrouver mon petit quotidien train-dodo-train o_o" (ça y est, j'ai 23 ans et chui une mamie !).

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    4. Rimbaud trotte toujours dans un coin de tout ce que je pense, écris et respire ;D (c'était la minute poétique et pédante du soir, huhu). Ahhh, mon petit chat des monts rocheux.

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  2. En fait j'ai envie de te poster un commentaire rapide, mais j'ai aussi envie de prendre le temps de lire ton article au calme, alors je vais attendre et faire ça après les partiels :)

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    1. T'es trop mignonne =)
      Idem avec ton blog, je ne t'ai pas laissé beaucoup de commentaires ces-derniers temps, mais t'en fais pas, c'est normal ;D je veux juste être au calme pour commenter/répondre/écrire.. etc. Donc être chez moi, à Meaux ^^"
      Bon courage pour les partiels !!

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