lundi 19 janvier 2015

Cory Doctorow, Little Brother

Cory Doctorow
Little Brother


Éditions Pocket Jeunesse, 2012
Traduit de l'anglais par : Guillaume Fournier
VO : Little Brother, 2008

Résumé : Fan de nouvelles technologies et de jeux vidéo en réseau, Marcus, 17 ans, mène une vie sans histoires... même s'il défie parfois les caméras de surveillance du lycée ou pirate quelques sites Internet. Jusqu'au jour où il est pris dans les mailles d'un service anti-terroriste, emprisonné et torturé. Marcus décide alors de combattre les abus du pouvoir en utilisant ses talents informatiques. Un acte de résistance, qui se transformera en un vaste mouvement de rébellion...



En quelques mots...


"- On n'a rien sans rien. C'est notre pays. On nous l'a pris. Les terroristes qui nous attaqués sont toujours libres - mais pas nous. Je n'ai pas l'intention de me cacher pendant un an, dix ans, peut-être même toute ma vie, en attendant qu'on me rende ma liberté. La liberté, c'est une chose qu'il faut savoir gagner." p.390

    Cette citation, extraite de Little Brother, me tenait à cœur. Elle me tenait à cœur parce qu'elle pourrait presque, à elle seule, vous expliquer l'intérêt de ce roman. Le mot "liberté" est central ici, puisque ce livre parle de la faille qui existe entre la sécurité et la privation des libertés, voire même de la destruction de l'intimité. Intimité à laquelle nous avons droit. Ce roman m'a glacée et m'a fait énormément de bien aussi. Les actualités, auxquelles personne n'a échappé ces derniers temps, ont sans aucune doute contribué à l'intérêt que j'ai porté à ce livre. Il a fait écho, tout au long des pages, à ce que nous avons vécu récemment : un viol de notre liberté d'expression. De notre liberté, en fait, simplement. Ce qui m'a bouleversée dans Little Brother, ce n'est pas tant l'horreur du terrorisme - qui n'est pas centrale ici - mais la paranoïa qu'il peut faire naître dans une ville, un Etat, un pays. Cette paranoïa déclenche un excès de sécurité avec lequel on peut faire n'importe quoi. C'est une paranoïa collective qui se met au service de la tyrannie. Et c'est ce qui fait d'un gouvernement un organisme malade qui contraint, par la peur de l'autre, les individus à perdre leur intimité, à y renoncer volontairement. C'est le danger de la peur, c'est l'autre ennemi de la société. C'est notre ennemi aussi.
     Bien sûr, ce roman m'a fait du bien parce que nous n'en sommes pas encore là. De plus, c'est de la fiction, et dans la fiction, nous identifions très vite les bons des mauvais. Le manichéisme est omniprésent. Il l'est d'autant plus dans la littérature jeunesse qui se veut directe, simple et sans ambiguïté sur le message à passer. Ainsi, ce roman m'a fait du bien parce qu'il possède des vertus cathartiques. Il éloigne la méprise en nous révoltant contre un ennemi tout désigné. La réalité est différente, plus maligne, plus diffuse. Il est bien plus difficile de trier toutes les informations pour savoir qui/quoi influence qui/quoi, qu'est-ce qui est bon pour nous et ne l'est pas. Les réponses viennent généralement avec le temps. Cependant, avec le temps surgit, hélas, un "trop tard" dérangeant. Un "trop tard" que certains aiment quand d'autres veulent le renverser. On peut dire ce qu'on veut dans notre monde, on peut prôner deux vérités différentes sans jamais avoir tort (essayez, vous verrez). C'est à la fois ce qui fait la richesse de notre monde, sa diversité, et ce qui le consume aussi : Personne n'a tort, tout le monde a raison. L'un impose sa vérité, l'autre se rebelle. Les deux se paralysent et une troisième version de la vérité domine. Elle part en couilles (pour rester polie). Les disputes reprennent, parfois dans le sang, et nous reprenons à zéro sans rien avoir compris. Ou retenu. Et ainsi de suite dans une boucle infinie parce que rien n'est jamais simple. Rien ne se passe comme dans les romans, mêmes quand ceux-ci anticipent, à raison ou à tort. D'autant plus quand ils sont interprétés - ou interprétables - de mille façons possibles.
     Little Brother m'a fait du bien dans le sens où il reste à sa place de fiction. Il nous ferait du mal si nous nous en rapprochions, si Little Brother devenait vrai. Cela dit, c'est le risque de toute dystopie : de s'ancrer dans le vrai. Dans Little Brother, nous avons un héros. Nous avons une héroïne. Nous avons des personnages qui sont là pour être actifs, renverser les méchants et rendre le monde meilleur. Dans la réalité, les héros sont différents, plus ambigus et rarement nobles. C'est en ça que le roman fait aussi peur et peut bousculer. Si on s'éloigne un minimum du caractère divertissant d'une fiction et qu'on la considère comme un enseignement, une possible vérité, elle devient plus angoissante. Little Brother, mis en parallèle avec notre actualité, m'a fait ressentir ce petit quelque chose qui nous fait passer du monde de la fiction à celui de la vie. Croyez-moi, c'est un peu stressant et percutant. Bien sûr, cela reste une fiction avant tout, mais une fiction que, personnellement, je ne suis pas prête d'oublier. Elle nous met sur nos gardes et nous incite à nous méfier d'une protection trop intrusive. Il faut le retenir, le garder en tête ça. Nous avons la facilité de croire que le monde est aussi manichéen que les romans. On nous désigne un véritable ennemi, qui tue et répand la haine, mais parfois, cela peut venir de derrière. Cette haine et ce danger peuvent venir d'une chose que nous n'aurions pas supposé : notre propre peur. Une peur qui appelle à la protection. Une protection trop forte. Une protection qui appelle à la mort des libertés. Ces mêmes libertés que nous voulions protéger parce que nous avions peur de les perdre. Ainsi, elles ne sont plus agresser par l'ennemi désigné mais par notre propre peur collective.

    Je tenais à revenir là-dessus dans cette chronique sur Little Brother. Cela m'a trotté dans la tête pendant toute ma lecture. Nous ne devons pas seulement protéger nos libertés d'un ennemi qui attaque, le coeur noir et la pensée pleine d'obscurantisme, nous devons aussi les protéger de toutes les formes d'agressions qu'elles peuvent subir. Il en existe des tas, de la plus évidente à la plus sournoise. C'est notre devoir, en tant qu'être humain, de défendre cela, afin d'aider ceux qui ne le peuvent pas. C'est notre devoir de le faire afin de continuer d'écrire ce que nous voulons, dessiner ce que nous souhaitons et nous exprimer avec toute la force qui peut s'extraire de notre pensée. Les vrais ennemis sont l'obscurantisme et la peur paranoïaque paralysante. La parole, l'échange et le respect de la vie humaine sont notre force.

    Pour un avis plus vague et superficiel de Little Brother, sachez juste que c'est un très bon roman. Les personnages sont attachants, on adhère à leur cause et les sujets sont traités avec une précision incroyable. Il est aussi possible de lire ce roman sous un autre jour : celui des dangers ou non des technologies. Cependant, comme dirait Marcus, le héros de ce roman, nous pouvons faire adhérer les technologies à toutes les causes possibles : les meilleures comme les pires. Les machines nous obéissent si nous avons le pouvoir dessus. Tout est une question de contrôle. En quelque sorte, la réponse à cette question est simple : les technologies ne sont pas un danger, pas plus qu'elles n'en représentent pas, il faut surtout qu'elles restent accessibles au plus grand nombre afin que personne n'en profite plus qu'une autre.

    Sur ce...