Une idée traînait dans ma tête depuis quelques mois. Suite à ma visite de l'exposition au musée d'Orsay "Van Gogh : le suicidé de la société", en parallèle avec le texte d'Antonin Artaud du même nom, une profonde curiosité est née chez moi à l'égard de cet auteur. A la fois poète, théoricien du théâtre, acteur, écrivain ou encore essayiste, c'est un être qui me fascinait pour cette multiplicité, notamment.
Aujourd'hui, en me promenant à Gibert, j'ai pensé à lui (bon ok, j'ai un cours sur la poésie et la folie ce semestre, donc ça me semblait normal de penser à lui) et j'ai fait un tour du côté de la poésie. J'en suis ressortie avec L'Ombilic des Limbes qui sera ma première aventure dans l'univers dense d'Antonin Artaud.
Pas plus tard que ce soir, sur le site de l'INA, j'ai écouté cet enregistrement audio qui célèbre le dixième anniversaire de la mort d'Artaud et fait un "éloge de sa folie". De nombreux passages ont retenu mon attention (notamment les lectures de ses textes (bon sang, on lisait bien à l'époque...)), mais un, en particulier m'a fait réfléchir : la folie, auparavant, était observée comme une "situation où les valeurs humaines sont annulées", c'est-à-dire que l'être fou est asocial, donc en contradiction avec la société dans laquelle il devrait évoluer et surtout, il est méprisé par celle-ci. Cependant, chez Artaud, au contraire, la folie est vue comme un "révélateur de valeurs". Des valeurs différentes, certes, mais il n'est pas "méprisable" bien que malade mentalement. Sa folie est une expérience, une plongée au cœur même de la pensée et de l'être, une réflexion sur le "moi" et sur l'organisme vivant qui détruit l'esprit et la pensée. C'est aussi une réflexion sur le mot, un mot qui ne peut représenter la pensée et qu'il faut éclater. Et c'est ce qu'il fait dans sa poésie. Il éclate le verbe et le dépasse (le passage sur les "syllabes" est assez éloquent à ce propos... Une fois que le langage arrivait à ses limites, Artaud se servait de syllabes, presque incantatoires, pour aller au-delà des mots).
Plutôt que de parler inutilement et risquer de dire des bêtises, je me permets de recopier quelques passages et un poème qui m'ont particulièrement marquée aujourd'hui :
Poète noir
Poète noir, un sein de pucelle
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au cœur de la vie.
Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d'orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.
Les yeux ragent, les langues tournent
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigres durs.
***
"Je voudrais faire un Livre qui dérange les hommes, qui soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n'auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité."
(extrait de "Là où d'autres..." dans L'Ombilic des Limbes).
***
"Il faut que le lecteur croie à une véritable maladie et non à un phénomène d'époque, à une maladie qui touche l'essence de l'être et à ses possibilités centrales d'expression, et qui s'applique à toute une vie.
Une maladie qui affecte l'âme dans sa réalité la plus profonde, et qui en infecte les manifestations. Le poison de l'être. Une véritable paralysie. Une maladie qui vous enlève la parole, le souvenir, qui vous déracine la pensée."
(extrait d'une lettre à Jacques Rivière, 25 mai 1924)
D'après ce que j'ai retenu en écoutant la lettre qu'il envoie à Pierre Loeb en 1947, Artaud opposait l'homme-arbre à l'homme devenu un "organisme". C'est à dire un homme qui se retrouve doté d'une enveloppe qui finit par tyranniser ses pensées et les influencer, en quelque sorte. C'est un peu à cela que je pense en (re)lisant "Poète Noir" désormais... La forêt étant une multitude d'êtres non asservis à cette enveloppe charnelle. Mais je ne suis même pas à un dixième de mes découvertes sur cet auteur, alors... que dire ?
Sur ce, lecteurs fantômes ou non, je vais me coucher et je reprendrai ma "quête" Antonin Artaud dès demain. Je pense que cet homme va me hanter un certain temps. Quelque chose me dit que ça va m'aider à comprendre mon mémoire, aussi... par la même occasion.