samedi 27 février 2016

Christelle Dabos, La Passe-Miroir (tome 1)

CHRISTELLE DABOS
La Passe-Miroir : Les Fiancés de l'Hiver (T1)


Editions Gallimard Jeunesse, 2013

Résumé : Sous son écharpe élimée et ses lunettes de myope, Ophélie cache des dons singuliers : elle peut lire le passé des objets et traverser les miroirs. Elle vit paisiblement sur l'arche d'Anima quand on la fiance à Thorn, du puissant clan des Dragons. La jeune fille doit quitter sa famille et le suivre à la Citacielle, capitale flottante du Pôle. À quelle fin a-t-elle été choisie ? Pourquoi doit-elle dissimuler sa véritable identité ? Sans le savoir, Ophélie devient le jouet d'un complot mortel. Une héroïne inoubliable, un univers riche et foisonnant, une intrigue implacable. Découvrez le premier livre d'une grande saga fantastique et le talent d'un nouvel auteur à l'imaginaire saisissant. 


    J'ai achevé ma lecture de ce premier tome jeudi soir. Mon opinion sera donc fort frais. Il sera aussi fort positif puisque j'ai énormément apprécié ce premier volume de La Passe-Miroir. L'écriture de l'auteur est directe, honnête, sans fioritures, mais aussi très efficace et poétique. On dirait que ce roman a été écrit avec de la dentelle et des doigts en tige de rose. Tout est si bien mené, de l'intrigue aux personnages, que c'en est dépaysant. 
    Je ne sais pas si le concept de l'histoire est nouveau ou déjà vu, et je m'en fiche, en fait. Ce qui m'a plu, durant cette lecture, c'est de découvrir un univers riche, travaillé et dont on sent que l'auteur ne dévoile pas tout. Il y a un petit côté Harry Potter dans ce roman, du moins, dans les objets et les décors : une franche réalité vue avec magie, sans que l'on hurle à l'émerveillement. Tout ce qui sort de l'ordinaire, dans ce livre, assume pleinement son côté ordinaire aux yeux des personnages. Une écharpe qui se comporte comme un animal de compagnie (un chat, j'en suis sûre) ? C'est tout à fait normal dans La Passe-Miroir. L'auteur ne cherche pas à nous faire halluciner, elle nous tient juste au courant que ce monde est ainsi fait. On sait, donc on se tait. (et on s'émerveille quand même, parce que faut pas déconner :p ).
    Le livre prend son temps. On sent que nous sommes dans une saga qui se déroulera sur plusieurs livres. L'intrigue se pose tranquillement, part vers de nouveaux rebondissements et n'a pas pour projet immédiat de répondre à toutes les questions. Ainsi, nous avons clairement le temps de rencontrer les personnages, les apprivoiser et les aimer (surtout Ophélie et sa tata). J'ai adoré l'héroïne. Elle est forte, bien plus qu'elle ne l'imagine et n'est pas non plus incassable, imperturbable. En fait, elle est profondément humaine, avec ses forces et ses faiblesses. C'est un plaisir de la suivre. Elle est assez atypique aussi, peu attirée par sa féminité, non par rejet d'elle-même mais tout simplement parce que c'est comme ça. Elle a un petit côté geek (dans le sens "passionnée et satisfaite dans sa solitude") qui fait plaisir à voir mais dont elle se détache peu à peu.
Christelle Dabos
    Ce premier roman est une initiation pour la jeune Ophélie qui se révèle être à la fois apprentie et maître. Elle aspire à plus qu'elle ne le montre et j'ai hâte de savoir où son caractère discret, mais fort, va la mener. 
    Je ne me suis pas - ou peu - attachée à Thorn et sa tante. Tous deux m'ont laissée de marbre. Je les trouve brutaux et d'une si grande froideur que cela a fini par m'embêter. Certes, ils ont des émotions mais j'attends d'en voir plus. Pour l'heure, je n'arrivais pas vraiment à les imaginer, à cause de cette distance qu'ils imposent tout au long de l'histoire. D'ailleurs, le petit point négatif que j'ai ressenti durant ma lecture concerne Thorn. J'ai trouvé que l'auteur insistait beaucoup, mais vraiment beaucoup, sur le fait qu'il soit grand. Or, si c'est bien de le préciser lorsqu'on le rencontre, au fur et à mesure, cette précision physique répétitive devient lassante... De plus, plus le visage de Thorn était distant de celui d'Ophélie, moins je parvenais à le visualiser. Peut-être est-ce voulu par l'auteur, et dans ce cas, bien joué sur la métaphore du flou/de l'éloignement, mais personnellement, cela m'a régulièrement gênée. 
    L'autre bémol que j'ai ressenti se trouve dans l'intrigue. Mon avis est subjectif, mais certains passages ont fini par traîner en longueur, notamment le début au Clairdelune. J'ai mis plus de temps à lire ces chapitres que tout le reste du roman.

    Pour conclure, dans l'ensemble, j'ai sincèrement aimé ce premier volume et je lirai sans aucun doute la suite dans les prochains mois. J'ai apprécié la compagnie d'Ophélie - derrière laquelle on veut se réfugier pour fuir ce monde mesquin dans lequel nous sommes plongés. Je suis totalement sous le charme de l'univers créé par Christelle Dabos, qui me rappelle mes grands moments auprès de Harry Potter. J'adhère beaucoup à ce que nous propose l'auteur. Bref, tout cela est à suivre !

mardi 7 avril 2015

Veronica Roth, Divergent (tome 2)

Veronica Roth
Divergent (tome 2)



Résumé : Le monde de Tris a volé en éclats. La guerre a dressé entre elles les factions qui régissent la société, elle a tué ses parents et fait de ses amis des tueurs. Tris est rongée par le chagrin et la culpabilité. Mais elle est Divergente. Plus que tout autre, elle doit choisir son camp et se battre pour sauver ce qui peut encore l'être...

Lire aussi : Divergent (tome 1)



Ce que j'en pense


    /!\ SPOILERS INSIDE /!\ J'en aurais mis du temps à terminer le second volume de la trilogie de Veronica Roth. Le problème ne venait pas d'un désintérêt pour l'aventure de Tris mais plutôt d'un blocage "littérature young-adult" survenu en 2013. J'en ai trop lu, trop vite, au point de faire une overdose. En 2015, je guéris !
     J'avais lu les 50 premières pages juste après la sortie du premier film au cinéma l'an dernier. En effet, laissée sur ma faim, une fois la séance finie, je me suis procurée le second tome de Divergent. Pour raison de rédaction de mémoire, j'ai dû stopper ma lecture pour reprendre le boulot. Je me souviens, à ce moment, j'étais coincée entre lettres de motivation, CV, et boulot universitaire. Cette année, c'est toujours un peu pareil mais la sortie de l'adaptation du film a changé le destin. Si ce n'est pour Le Labyrinthe, je lis TOUJOURS les livres young-adult avant de voir la version cinématographique. Quand j'ai su que j'irai voir le film en mars, je n'ai pas pu résister et j'ai repris la lecture de ce volume. Pour faire court, je l'ai préféré au tout premier. Ce second volume est bien plus lourd et sombre que le précédent. Certes, nous ne sommes pas dans la noirceur d'un Hunger Games, mais quand même !
     J'ai apprécié la plume de Veronica Roth ici. De plus, j'ai appris à aimer Tris avec l'adaptation du premier film (Shaileene quoi). Ainsi, le personnage ne m'a pas agacé comme ça avait pu être le cas au début. Bien qu'elle n'agisse pas forcément de manière cohérente, elle est touchante à sa manière. Ses relations sont touchantes. J'adore le lien qu'elle a avec Tobias (of course) mais aussi avec Christina (que j'adore pour le coup !). Dans ce tome, on se rend compte que tout ce qu'il s'est passé à la fin du premier (l'attaque des Audacieux sous l'effet de la simulation des Erudits) a laissé d'énormes séquelles chez Tris. Dans le feu de l'action, elle agit de manière impulsive. Elle réfléchit, classe les données qu'elle reçoit et agit dans le meilleur intérêt. Cependant, la mort de Will (...) et celle de ses parents sont de véritables traumatismes pour elle. Et ces traumatismes sont très bien traités dans le roman. Veronica Roth n'en fait pas mille tonne, au contraire, tout est très bien dosé. On comprend les enjeux. Le comportement de Tris, qui pourrait facilement agacer, n'est pas si tordu. En effet, cette héroïne a des tendances suicidaires plutôt hardcore ! Elle mélange sacrifice et suicide, qui, lorsqu'on le lit, ne sont pas si éloignés que ça. Tris cherche une bonne raison de mourir, comme ses parents l'ont fait avant elle et... une bonne partie du roman se base sur cette question : qu'est-ce que l'abnégation ? Pour qui ou quoi puis-je me sacrifier ? Mon sacrifice sera-t-il utile ? 
    C'est pertinent. Vraiment pertinent. Quand on sait que la littérature jeunesse est majoritairement lu par des... jeunes, eh bien, je trouve cela intéressant. C'est un roman qui parle du deuil mais aussi de ce qu'on hérite de nos parents, et de ce qui nous manque une fois qu'on le perd. Insurgent met en avant des questions adolescentes. Métaphoriquement, c'est quand même l'histoire d'une gamine qui se casse de chez ses parents à 16 ans parce qu'elle n'aime pas leur manière d'envisager la vie, hein ! Et qui, dans notre réalité, n'a pas dit au moins une fois à ses parents : "tu me fais chier ! à 18 ans, j'me casse de cette baraque !". Eh bien Tris a le droit de le faire. La loi leur offre la possibilité. Et l'intrigue dystopique, à côté, permet en même temps de poser la question de la perte et de l'identité.

vendredi 20 mars 2015

Ces livres que je compte lire

    En ce jour d'éclipse partielle où les nuages sur Paris ont tout gâché (il faisait juste froid à crever), je poste un article qui n'a rien à voir. Je voudrais parler de ces livres que je n'ai, actuellement, pas le temps de lire pour cause de M2. Dans deux mois et demi je termine mes études en littérature française, plusieurs livres me titillent depuis quelques années, voire plusieurs mois. Avec mes deux mémoires en deux ans, j'ai passé plus de temps à lire la littérature du XIXe ainsi que des ouvrages et des articles critiques que des romans "pour mon plaisir". Je mets cela entre guillemets puisque je prends aussi beaucoup de plaisir dans mes études. Trêve de blabla, voici les romans que je souhaite lire à partir de juillet :


Côté littérature jeunesse et young-adult

 

 Tout d'abord, je souhaiterais acquérir les trois derniers volumes des aventures de Clarisse et Jace. En 2013, j'ai eu un de mes plus gros coups de coeur de l'année avec la première trilogie, je reprendrai donc cela dans les mois à venir. De même, j'aimerais lire les deux derniers tomes des Origines. Ce n'est pas parce que je n'en ai plus reparlé depuis quelques mois que j'ai oublié cette saga de fou ! Même si l'adaptation cinématographique a été une énorme déception...

 

De même, j'ai hâte de pouvoir lire la fin du Dernier Jardin. J'avais commencé la trilogie en ouvrant ce blog et depuis, je n'ai pas eu l'occasion (ou l'envie) de la continuer. Cependant, elle fait partie des histoires dont je veux connaître la fin !


Côté Science-Fiction 


Pour continuer ma découverte de Patrick Ness, je me retiens, depuis quelques semaines, d'acheter et de lire la trilogie Le Chaos en marche ! J'ai hâte (vraiment hâte) de m'y mettre ! Cet auteur a une plume magnifique et jusqu'à maintenant, je ne suis pas déçue.


Découvert il y a peu de temps, le résumé de cette saga de Connie Willis m'a beaucoup tentée ! J'espère la lire dès que j'en aurais fini avec mon mémoire de M2. Mon récent voyage en Angleterre, notamment à Londres, m'incite pas mal dans ce choix de lecture. Et puis, j'adore les voyages dans le temps. Affaire à suivre dans le courant de l'été...


Côté Fantasy


Ma passion pour Lynn Flewelling ne compte pas s'arrêter à Nightrunner. Je veux absolument lire Le Royaume de Tobin et en apprendre plus sur les époques qui précèdent Nightrunner ! Bien sûr, je ne retrouverai pas mes chouchous Alec et Seregil, mais je suis sûre que les personnages de cette autre saga sauront me plaire aussi. 

***

Pour finir, il y a beaucoup beaucoup d'auteurs du XIXe siècle et du XXe siècle que je souhaite lire. Je veux, tout d'abord, continuer mon aventure avec Balzac. Même si je fais mon mémoire sur lui cette année, l'aventure ne fait que commencer ! Cet un auteur exceptionnel et si prolifique qu'il y a de quoi faire ! De même, j'aimerais beaucoup lire Lélia de G. Sand, les textes de C. Nodier, ceux de Rachilde et renouer avec Flaubert. A. Dumas me donne aussi envie, de plus en plus. Côté XXe, j'ai La Recherche du temps perdu qui m'attend dans ma bibliothèque (je me suis promis de lire Proust un jour), ainsi que l'intégralité des textes d'Antonin Artaud.

Voilà, en bref, les romans que j'espère lire une fois mes études terminées. Bien sûr, cette liste n'est pas figée. Je vais forcément avoir de nouvelles envies, des moments lectures différents et découvrir des choses auxquelles je ne m'attendais pas. Cependant, tous ces livres sont vraiment une priorité à mes yeux et j'ai hâte de pouvoir entrer dedans sans pression sur les épaules parce que bordel, faire deux mémoires, c'est beaucoup beaucoup de pression...

Sur ce, demain, salon du livre ! Faites que ma CB soit préservée !

lundi 19 janvier 2015

Cory Doctorow, Little Brother

Cory Doctorow
Little Brother


Éditions Pocket Jeunesse, 2012
Traduit de l'anglais par : Guillaume Fournier
VO : Little Brother, 2008

Résumé : Fan de nouvelles technologies et de jeux vidéo en réseau, Marcus, 17 ans, mène une vie sans histoires... même s'il défie parfois les caméras de surveillance du lycée ou pirate quelques sites Internet. Jusqu'au jour où il est pris dans les mailles d'un service anti-terroriste, emprisonné et torturé. Marcus décide alors de combattre les abus du pouvoir en utilisant ses talents informatiques. Un acte de résistance, qui se transformera en un vaste mouvement de rébellion...



En quelques mots...


"- On n'a rien sans rien. C'est notre pays. On nous l'a pris. Les terroristes qui nous attaqués sont toujours libres - mais pas nous. Je n'ai pas l'intention de me cacher pendant un an, dix ans, peut-être même toute ma vie, en attendant qu'on me rende ma liberté. La liberté, c'est une chose qu'il faut savoir gagner." p.390

    Cette citation, extraite de Little Brother, me tenait à cœur. Elle me tenait à cœur parce qu'elle pourrait presque, à elle seule, vous expliquer l'intérêt de ce roman. Le mot "liberté" est central ici, puisque ce livre parle de la faille qui existe entre la sécurité et la privation des libertés, voire même de la destruction de l'intimité. Intimité à laquelle nous avons droit. Ce roman m'a glacée et m'a fait énormément de bien aussi. Les actualités, auxquelles personne n'a échappé ces derniers temps, ont sans aucune doute contribué à l'intérêt que j'ai porté à ce livre. Il a fait écho, tout au long des pages, à ce que nous avons vécu récemment : un viol de notre liberté d'expression. De notre liberté, en fait, simplement. Ce qui m'a bouleversée dans Little Brother, ce n'est pas tant l'horreur du terrorisme - qui n'est pas centrale ici - mais la paranoïa qu'il peut faire naître dans une ville, un Etat, un pays. Cette paranoïa déclenche un excès de sécurité avec lequel on peut faire n'importe quoi. C'est une paranoïa collective qui se met au service de la tyrannie. Et c'est ce qui fait d'un gouvernement un organisme malade qui contraint, par la peur de l'autre, les individus à perdre leur intimité, à y renoncer volontairement. C'est le danger de la peur, c'est l'autre ennemi de la société. C'est notre ennemi aussi.
     Bien sûr, ce roman m'a fait du bien parce que nous n'en sommes pas encore là. De plus, c'est de la fiction, et dans la fiction, nous identifions très vite les bons des mauvais. Le manichéisme est omniprésent. Il l'est d'autant plus dans la littérature jeunesse qui se veut directe, simple et sans ambiguïté sur le message à passer. Ainsi, ce roman m'a fait du bien parce qu'il possède des vertus cathartiques. Il éloigne la méprise en nous révoltant contre un ennemi tout désigné. La réalité est différente, plus maligne, plus diffuse. Il est bien plus difficile de trier toutes les informations pour savoir qui/quoi influence qui/quoi, qu'est-ce qui est bon pour nous et ne l'est pas. Les réponses viennent généralement avec le temps. Cependant, avec le temps surgit, hélas, un "trop tard" dérangeant. Un "trop tard" que certains aiment quand d'autres veulent le renverser. On peut dire ce qu'on veut dans notre monde, on peut prôner deux vérités différentes sans jamais avoir tort (essayez, vous verrez). C'est à la fois ce qui fait la richesse de notre monde, sa diversité, et ce qui le consume aussi : Personne n'a tort, tout le monde a raison. L'un impose sa vérité, l'autre se rebelle. Les deux se paralysent et une troisième version de la vérité domine. Elle part en couilles (pour rester polie). Les disputes reprennent, parfois dans le sang, et nous reprenons à zéro sans rien avoir compris. Ou retenu. Et ainsi de suite dans une boucle infinie parce que rien n'est jamais simple. Rien ne se passe comme dans les romans, mêmes quand ceux-ci anticipent, à raison ou à tort. D'autant plus quand ils sont interprétés - ou interprétables - de mille façons possibles.
     Little Brother m'a fait du bien dans le sens où il reste à sa place de fiction. Il nous ferait du mal si nous nous en rapprochions, si Little Brother devenait vrai. Cela dit, c'est le risque de toute dystopie : de s'ancrer dans le vrai. Dans Little Brother, nous avons un héros. Nous avons une héroïne. Nous avons des personnages qui sont là pour être actifs, renverser les méchants et rendre le monde meilleur. Dans la réalité, les héros sont différents, plus ambigus et rarement nobles. C'est en ça que le roman fait aussi peur et peut bousculer. Si on s'éloigne un minimum du caractère divertissant d'une fiction et qu'on la considère comme un enseignement, une possible vérité, elle devient plus angoissante. Little Brother, mis en parallèle avec notre actualité, m'a fait ressentir ce petit quelque chose qui nous fait passer du monde de la fiction à celui de la vie. Croyez-moi, c'est un peu stressant et percutant. Bien sûr, cela reste une fiction avant tout, mais une fiction que, personnellement, je ne suis pas prête d'oublier. Elle nous met sur nos gardes et nous incite à nous méfier d'une protection trop intrusive. Il faut le retenir, le garder en tête ça. Nous avons la facilité de croire que le monde est aussi manichéen que les romans. On nous désigne un véritable ennemi, qui tue et répand la haine, mais parfois, cela peut venir de derrière. Cette haine et ce danger peuvent venir d'une chose que nous n'aurions pas supposé : notre propre peur. Une peur qui appelle à la protection. Une protection trop forte. Une protection qui appelle à la mort des libertés. Ces mêmes libertés que nous voulions protéger parce que nous avions peur de les perdre. Ainsi, elles ne sont plus agresser par l'ennemi désigné mais par notre propre peur collective.

    Je tenais à revenir là-dessus dans cette chronique sur Little Brother. Cela m'a trotté dans la tête pendant toute ma lecture. Nous ne devons pas seulement protéger nos libertés d'un ennemi qui attaque, le coeur noir et la pensée pleine d'obscurantisme, nous devons aussi les protéger de toutes les formes d'agressions qu'elles peuvent subir. Il en existe des tas, de la plus évidente à la plus sournoise. C'est notre devoir, en tant qu'être humain, de défendre cela, afin d'aider ceux qui ne le peuvent pas. C'est notre devoir de le faire afin de continuer d'écrire ce que nous voulons, dessiner ce que nous souhaitons et nous exprimer avec toute la force qui peut s'extraire de notre pensée. Les vrais ennemis sont l'obscurantisme et la peur paranoïaque paralysante. La parole, l'échange et le respect de la vie humaine sont notre force.

    Pour un avis plus vague et superficiel de Little Brother, sachez juste que c'est un très bon roman. Les personnages sont attachants, on adhère à leur cause et les sujets sont traités avec une précision incroyable. Il est aussi possible de lire ce roman sous un autre jour : celui des dangers ou non des technologies. Cependant, comme dirait Marcus, le héros de ce roman, nous pouvons faire adhérer les technologies à toutes les causes possibles : les meilleures comme les pires. Les machines nous obéissent si nous avons le pouvoir dessus. Tout est une question de contrôle. En quelque sorte, la réponse à cette question est simple : les technologies ne sont pas un danger, pas plus qu'elles n'en représentent pas, il faut surtout qu'elles restent accessibles au plus grand nombre afin que personne n'en profite plus qu'une autre.

    Sur ce...


mardi 18 novembre 2014

Ballade au Musée d'Art Moderne de Paris

R. Dufy, La Vie en Rose, 1931

    En ce charmant et pluvieux 18 novembre, j'ai pris la décision de fuir mon appartement et mon boulot pour aller, une paire d'heures, au musée d'Art Moderne de Paris. A la base, je voulais y aller pour l'exposition Sonia Delaunay, sauf que je n'ai actuellement pas les moyens de payer pour une expo. Ainsi, l'entrée libre de la collection permanente m'a bien plus charmée. Mais ce n'est qu'à charge de revanche puisque je compte voir l'exposition d'ici le mois prochain tout de même. Depuis un mois, la pub dans le métro m'intrigue et ma prof d'anglais n'arrête pas de nous supplier pour qu'on y aille. Donc bon.
    Lorsque je suis entrée dans le musée, je me suis retrouvée - après avoir interrogé l'accueil - à un choix cornélien : les escaliers de droite, ou ceux de gauche ? Bien sûr, comme je suis droitière, j'ai choisi de prendre les escaliers de gauche, ce qui m'a permis de visiter le musée... à l'envers. Logique. Alors déjà que l'art moderne et moi, ça fait plutôt deux (je m'y connais en art pictural du XIXe, c'est tout), alors prendre l'exposition à l'envers, c'était un peu bizarre. Mais tant pis. J'ai esquivé les visiteurs qui commençaient et j'ai aimé tout de même. 
    Comme mes compte-rendus de visites dans les musées sont toujours subjectifs, je ne vais ni choisir un ordre chronologique, ni l'ordre des salles (ahah), ni quoi que ce soit et uniquement parler des tableaux que j'ai aimés. Le premier d'entre eux (ci-dessus) est de Dufy. Alors, je déteste le rose, je n'aime vraiment pas cette couleur et c'est donc en de rares occasions que je suis ébahie devant une débauche de rose. Ici, j'aime les motifs ainsi que la répétition du bouquet en arrière-plan (miroir ? tableau dans le tableau ?). Les tons sont aussi apaisants que le titre lui-même : La Vie en rose (titre qui précède de 16 ans la chanson de Piaf). De plus, j'aime cette approche du réel par une impression de rêve. Du moins, c'est ainsi que je l'interprète. On sait que c'est une pièce avec une table et un bouquet, mais elle est tellement rose, irréaliste qu'on voit que c'est un tableau. L'illusion n'existe pas, tout est au profit du monochrome et de la peinture.

Matta, L'Impensable, 1958
    Le tableau que j'ai préféré le plus, sur tout le musée est celui ci : L'Impensable de Matta (1958). Pourquoi ? Je pense que c'est le côté très fuyant, agité du tableau qui m'a plu. Le regard ne peut absolument pas se focaliser sur une partie du tableau. Il n'y a rien où se raccrocher, pas même les tracés que l'on voit bien. Tout est pris dans l'action. Le "brouillard" qui floute presque entièrement le tableau donne une impression de chaos, voire de crainte et surtout de doute. Et le doute semble être, justement, le maître mot du tableau. La seule partie rassurante que l'on peut trouver, c'est ce mélange de jaune, rouge et bleu, plus ou moins au centre du tableau. Pour ce qui est des formes "observables", l'interprétation semble être ouverte. Qu'est-ce qu'elles sont ? Personnellement j'y vois des objets cassés, détruits, comme des souvenirs ou des décors de souvenirs que l'on n'arrive plus vraiment à restituer. En somme, ce tableau me parle et me fait penser à la capacité que l'homme a de se servir du doute pour se dédouaner de ce qu'il a pu faire ou vivre.

J. Metzinger, L'Oiseau bleu
(1912-1913)
     Un peu partout, dans l'exposition, je me suis aussi heurtée au cubisme (certaines salles y sont dédiées). Je n'étais pas familière avec ce mouvement mais il m'a intriguée. Les formes géométriques, qui devraient apporter une stabilité, sont plutôt au service d'un chaos et d'une déstructuration. Ainsi, beaucoup de tableaux m'ont séduite durant ma visite, dont L'Oiseau Bleu de Jean Metzinger (à droite). Sur le site Éternels Éclairs, une définition du mouvement cubisme est proposée : les trois étapes du cubisme sont expliquées jusqu'à la réflexion esthétique sur le réel (puisque le cubisme réintroduit, dans ses formes déconstruites, des éléments du réel). C'est rapide à lire, donc les fantômes qui passent ici, hop-hop-hop, allez jeter un coup d'oeil. D'autres tableaux m'ont plu, comme Le Livre de Juan Gris (1913) et Les Baigneuses d'Albert Gleizes (1912).

    Ci-dessous, voici deux tableaux de Chaim Soutine qui m'ont fait flipper. Ouais. A gauche, il s'agit de La Femme en rouge (1924). Ses mains, décharnées, m'ont collée des frissons. Cela donne l'impression qu'elle va venir nous arracher la peau. De même, son visage souriant (qui me fait penser à un chat) ne semble pas avoir d'émotion. Les yeux sont noirs sur les deux tableaux, perturbants et sans âme. Pourtant, j'aime les couleurs, j'aime le côté "vague" des formes. Le tableau de droite, Femme à la robe bleue (1924), est tout aussi perturbant.

     

    Plusieurs autres mouvements picturaux sont présents au musée d'Art Moderne de Paris. On y trouve du fauvisme, du surréalisme, de l'art abstrait et des peintures plus contemporaines. C'était un véritable défi pour moi, de venir dans ce musée. Lorsque je vais à une expo à Orsay (par exemple), j'ai toujours tendance à négliger les oeuvres du XXe siècle et les dernières salles de la visite. Ce n'est pas une période qui me plaît, à la base, mais plutôt qui me repousse. Ici, en me confrontant exclusivement à l'art du XXe siècle, je dois admettre que plusieurs tableaux, plusieurs peintres m'ont énormément plu. J'ai l'impression que mes yeux s'adaptent un peu à ces différents mouvements (exceptés les tableaux - dont je n'ai pas retenu les titres - qui ne représentent qu'un trait noir sur une toile blanche... ça, je ne peux toujours pas, déso). 
    Comme je découvre le surréalisme en poésie depuis quelques semaines, peut-être est-ce qu'il est temps pour moi de me tourner vers des œuvres de la même époque. D'ordinaire, leur chaos et la présence forte des couleurs à l'inverse du dessin m'effraient plus que ne me déplaisent. En me confrontant à des tableaux de Matisse, Matta, Gleizes et Soutine, ainsi que Dufy, j'ai découvert que je n'étais pas insensible au XXe siècle. L'affaire est donc à suivre. La dix-neuvièmiste fanatique que je suis va-t-elle s'ouvrir à d'autres horizons ? OUAIS, peut-être. Après tout, il y a quelques années, j'étais incapable d'aimer le XIXe en peinture et encore moins l'impressionnisme, donc les mouvements qui suivent, n'en parlons pas. Non, quand j'avais 18 ans, je n'aimais que la Renaissance. Plus le temps passe, plus je m'ouvre à des œuvres "récentes" et je me rends compte que ce sont celles-ci qui me plaisent et non plus celles de la Renaissance. Je retournerai dans ce musée prochainement...